Où l'on fait le point sur trois séries mystères célébrant plus ou moins bien le sens du twist...
Tandis que Lost (dont on reparlera très prochainement) fêtera ses vingt ans l'année prochaine, et compte tenu de l'incompréhension dont la série de Damon Lindelof & Carlton Cuse continue d'être l'objet, on se gaussera gentiment du fait que la presse française se targue toujours d'épicer leurs articles d'un peu de Lost par ci et d'un peu de Lost par là, dès lors que, précisément on cadre chaque nouvelle production sous la houlette d'un mystère plus ou moins épais. C'est dire si, en dépit de tous les reproches que l'on peut prêter à la série - dont l'auteur de ces lignes est l'un des plus fervents admirateurs - cette même série continue d'incarner une sorte de référence du feuilleton moderne et de ce besoin de voir, de lire quelque chose qui nous sorte d'un ordinaire morose ou routinier.
Ceci étant formulé, et sans plus tarder, voici un petit recap' de la moisson récoltée ces dernières semaines où, avec plus ou moins de bonheur, le mystère est à l'honneur...
😑 Silo (USA, Apple, 2023/1 saison - 9 épisodes/toujours en production)
Entre deux reboot/prequel/revival, les providers ne savent tellement plus où donner de la tête pour conserver leurs abonnés qu'ils capitalisent quasiment à l'aveugle sur n'importe quelle franchise existante pour asseoir leur longévité. Vous me direz que la formule n'est, certes, pas nouvelle mais, au vu de ce que l'on constate récemment, les créations originales de grande ampleur sont rarement - pour le coup- originales. Voyez plutôt: The Expanse, La Roue du Temps ou The Lord of the Rings pour Prime Video, House of Dragons chez HBO ou, dans une moindre mesure, Bridgerton sur Netflix font tellement pâle figure que même une jeunette telle qu'Apple parvient parfaitement à faire sa place dans la cour et tirer son épingle du jeu en proposant, l'air de rien, et après Fondation, une nouvelle preuve de sa force de frappe. Apple pioche donc une fois de plus dans le panier de la SF pour ses emplettes et s'attaque au gros bestseller qu'est la saga d'Hugh Howey (elle-même fortement inspirée de Philip K.Dick mais qui suis-je pour étaler ma science). Soit une dystopie où l'Humanité est confinée dans un silo sur plusieurs étages, où tout est régi selon une loi bien dictée (le Pacte) et où chaque sortie à l'extérieure se résume à une condamnation à mort. Ajoutez à cela un marché noir de tout artefact en provenance du passé, un encadrement de la natalité et un soupçon de complotisme, et vous avez là ce qui aurait pu largement être la série évènement d'avant l'été...
Avec Graham Yost aux commandes, brillant showrunner de Justified et de Boomtown, on pouvait s'attendre à quelque chose de classique, certes, mais de plus incarné que cette relecture du mythe de la caverne. Le problème de Silo n'est pas que Silo manque de quoi que ce soit: elle a tout pour réussir. Du budget, une mise en scène qui fait le job, une production design soignée, crédible, et un cast ne manque pas de charme. Le problème, justement, et à la différence d'un Lost qui donnait l'envie de s'arracher les cheveux, est que Silo se suit poliment. Trop. Elle devrait stimuler, mettre les nerfs en bouillotte, susciter l'enthousiasme et la passion; l'ensemble ne déroge guère d'une mécanique huilée par trop démonstrative.
Fort heureusement, dans tout ceci, Rebecca Ferguson apporte énormément de corps à un produit quelque peu désincarné. Par sa diction, sa manière de regarder, d'agir, et surtout d'être présente, voire d'envoyer l’entièreté d'un protocole rigide et totalitaire, l'actrice porte sur ses épaules un récit ralenti par sa propre ambition. Et sauve un objet de divertissement qui eut pu être tellement (mais tellement) moins cousu de fil blanc.
😏 The Big Door Prize (USA, Apple, 2023/ 1 saison - 10 épisodes/toujours en production)
Dans une petite ville bien sous tous rapports surgit un beau jour le Morpho, une étrange machine capable de révéler votre potentiel de vie. A l'instar d'un photomaton, vous prenez place, entrez vos nom et numéro de sécurité sociale et le tour est joué. Vous êtes épicier et rêviez d'être magicien ? Morpho vous l'affirme. Vous êtes la directrice du lycée local et espériez de chevaucher une grosse cylindrée ? Morpho vous le confirme. Vous rêviez d'être vous, et pleinement vous, Morpho est là pour vous guider dans vos pérégrinations existentielles. La suite ? Eh bien la suite ne tient qu'à vous. Tout changement et dommages collatéraux que pourrait entrainer une reconversion n'est pas remboursable par... mais par qui d'ailleurs ? Qui diable a fichu cette machine ici ? Et pourquoi ?
The Big Door Prize est la preuve qu'une idée plutôt futée ne fait pas nécessairement une bonne histoire et que, parfois, s'éloigner de son concept de départ peut s'avérer probant. Sympathique dramédie qui a le bon sens de ne pas s'engluer dans ce que l'on pouvait attendre d'elle (comme guetter des cliffhangers à tout va et des rebondissements cultivant une intrigue fantastique où l'extraordinaire vient bousculer le train-train quotidien), The Big Door Prize mise davantage sur le changement/la métamorphose qu'occasionne chez les personnages l'attribution d'une simple carte. Et de renouveler la thématique du Destin, d'une cheminement tout tracé ou, tout bonnement, de la liberté de choix en opposition aux sempiternelles conventions sociales. Portée par une troupe d'acteurs d'une appréciable sobriété (mention spéciale à Chris O'Dowd, Josh Segarra et Sammy Fourlas), la fiction développée par David West Read est une forme de bonbon gentiment acidulé. Qui n'a nulle autre prétention que celle de divertir tout en distillant, ci et là, et contre toutes attentes, une forme de mélancolie existentielle somme toute inattendue. Renouvelée pour une saison 2, si elle garde ce cap de modestie aux contours bien affinés, elle est bien partie pour devenir une fiction qui, à défaut d'être pleinement satirique et/ou cynique, pourra tenir solidement la distance.
😑Yellowjackets (USA, Showtime, 2021 / 2 saisons, 19 épisodes/toujours en production)
Un crash d'avion. Une équipe de football féminin d'un lycée américain comme il en existe mille perdue en pleine cambrousse. L'hiver approche. Aucun secours en vue. Et puis si, finalement. Et 25 ans plus tard, à l'aune de diverses révélations sur les survivant(e)s, le spectateur apprend au fil de l'eau (et des épisodes) ce qu'il s'est réellement passé là-bas.
Gloubi-boulga pop survivaliste d'un peu tout ce qui s'est accompli de majeur et/ou de notable ces dernières décennies (beaucoup de Sa Majesté des Mouches, un peu de -tiens tiens- Lost voire de Desperate Housewives), capable du meilleur comme du capillotracté le plus absurde, Yellowjackets rencontre le souci avec à peu près toutes les productions notables de la chaine Showtime. Et, fait, vient faire écho avec ce que l'on disait plus au haut au sujet de The Big Door Prize: un bon pitch ne fait pas nécessairement une bonne série, et encore moins sur la durée. L'époque du multi streaming et de l'abondance d'offres possède ceci de pernicieux que le spectateur - a fortiori le jeune spectateur - oublie à quel point, fut un temps, où les séries diffusées sur le câble étaient synonymes d'audace lorsque ce n'était pas de culot. Les premiers émois devant les créations phares d'HBO (pour n'en citer qu'une) étaient tels que l'on clamait, de manière un peu snob et péremptoire reconnaissons-le, que les séries américaines du câaaaable étaient largement au-dessus de la mêlée. Autres temps, autres fictions donc?
Drôle de constat que d'observer qu'une série telle que Yellowjackets - qui, entendons-nous bien, possède ses qualités - tombe dans le piège des conventions les plus triviales. Tout en réussissant le prodige de créer l'évènement et de retomber plus ou moins sur ses pattes en relançant la machine. Tel procédé a tendance, personnellement, à me laisser perplexe: à la différence d'un Big Door Prize qui relaie son mystère au deuxième plan afin de se concentrer sur ses protagonistes, Yellowjackets peine à tirer son épingle d'un jeu déjà dangereusement multi-référencé. Elle devrait (tout comme Silo dans une moindre mesure) se déployer avec davantage d'agressivité, elle reste finalement très classique dans sa forme et son fond, et totalement déséquilibrée sur ses deux lignes narratives. Autant la partie centrée sur les ados est réussie (grâce, notamment, à la qualité de sa distribution), autant celle des adultes est complètement inégale. Voire nulle. Ce qui donne en un objet quelque peu schizophrène. Calibrée pour être diffusée sur un network mais atterrissant sur une chaîne qui ne parvient pas à se débarrasser de ses oripeaux d'élève trop sage pour être un véritable garnement.