Retour vers le futur – De Reagan à Jules Verne

Où l'on parle de ce qui demeure très vraisemblablement la meilleure trilogie du cinéma.

Placide Boucan
4 min ⋅ 29/06/2023

Tous les gamins ayant grandi dans les années 90 le savent. Même leurs parents: Marty McFly fait du skate pour se rendre au lycée en écoutant Huey Lewis (Power of Love) en s'accrochant à l'arrière des voitures. Marty habite dans la petite ville de Hill Valley en Californie. Il a une copine, Jennifer, qu’il aimerait bien emmener en balade au volant d’un gros 4×4. Marty aimerait bien être riche à foison et, pour cela, devenir une star du rock. Et lorsqu’il rentre chez lui, il passe à table et regarde la télévision pour éviter de discuter avec ses parents en pleine décrépitude. Marty, en somme, est un pur produit des années 80.

Lorsque l’on revoit (et Dieu sait que c’est fréquent) le premier volet de Retour vers le futur, plus que d’apprécier une nouvelle fois les facéties spatio-temporelles et la savoureuse mécanique qui emmène l’adolescent de 1985 à rencontrer ses géniteurs en 1955 – et accessoirement inventer le rock- c’est de constater à quel point son voyage dans le temps modifie la classe sociale à laquelle appartient sa famille. Hill Valley représente l’Amérique telle que le conçoit Ronald Reagan : un pays qui aspire au plein succès, propret comme tout, et doté d’une prospérité inspirant le calme et le bon vivre.

Si Marty est ami avec l’excentrique Emmett « Doc » Brown, ce n’est pas uniquement par hasard. Dès le départ, cette amitié nous est présentée comme indéfectible, et comme contrepoint au désastreux contexte familial de Marty, dont chacun des membres est un exemple de tristesse absolue. Son père George se fait exploiter, sa mère Lorraine est une alcoolique notoire, sa sœur est une vieille fille complètement cruche et sans emploi, et son frère un loser de première classe cofondant la gomina avec le shampoing et travaillant de nuit dans un fast food quelconque. J’en oublierais presque Joey, l’oncle qu’on ne verra jamais parce que toujours en prison. Autant de paramètres reflétant la morosité d’une classe moyenne désenchantée. Lorsque Doc, notre physicien de cinéma préféré, concrétise enfin l’un des fantasmes les plus absolus de toute notre Humanité (le voyage dans le temps, pour celles et ceux qui ne suivent plus), il permet donc à Marty d’inverser le cours social des choses. 

Ainsi, quand l’adolescent rentre chez lui, sa famille habite en banlieue dans une maison, lumineuse et cossue, aux antipodes des murs lugubres et sinistres du début. Son frère et sa sœur sont tous les deux confortablement installés dans la vie active, et son père George est devenu un modèle de réussite. Ce dernier écrit des best-seller, joue au tennis avec sa femme pour passer le temps, conduit une BMW flambant neuve… et peut enfin offrir à Marty le 4×4 dont son fils rêvait en secret.

« Marty, je n’ai pas inventé la machine à voyager dans le temps dans un but lucratif. Mon but c’est d’élargir notre perception de l’humanité, d’où nous venons, où nous allons, les soubresauts et les péripéties, les périls et les promesses peut-être même trouver une réponse à cette éternelle question : Pourquoi ? »

Si la question posée par Doc restera sans réponse (lecteur, si tu es capable de me donner le sens de la vie en une réponse, et sans cogiter dessus pendant une journée, envoie-moi un message), le deuxième volet de Retour vers le futur s’inscrit pleinement dans ce que le scientifique avance, à savoir une relecture intertextuelle du premier opus. Assez déconsidéré sur l’ensemble de le trilogie, présentant deux films en un, ce volet n’en demeure pas moins un élément important dans la charnière du récit. Peu à peu, les péripéties de Marty se détachent de leur sous-texte reaganien pour s’inscrire dans le registre hybride de la comédie d’aventure, avec une dimension de relief qui joue énormément sur la complicité du spectateur. Si la partie où Marty revient dans un 1985 bis, année parallèle dans laquelle Hill Valley est un territoire dangereux et décadent sur lequel règne Biff, celle où le jeune homme retourne en 1955 pour revenir sur le lieu de ses premières aventures est un pur délice. Le spectateur en oublie presque l’objectif initial – celui de tout remettre dans l’ordre- et s’amuse à anticiper, ou à commenter, les détails d’une histoire qu’il a déjà apprécié. Marty devient un témoin revisitant ses propres aventures, sans jamais que l’histoire ne tombe dans la redite. En résulte une sorte de meta-film, de suite sans en être véritablement une, mais qui, pourtant, fait avancer l’histoire.

Vous reprendrez bien un glaçon avec votre thé ? (c) UniversalVous reprendrez bien un glaçon avec votre thé ? (c) Universal

Sans doute parce qu’on y sent une sorte de total lâcher prise, la troisième et dernière partie de Retour vers le futur demeure, à mon sens, la meilleure. Le récit s’amuse désormais à explorer le mythe de l’Ouest, avec ses clichés historiques et cinématographiques, en dérivant de la comédie à la romance badine et en gardant certains topos de l’univers de la saga (le bar, l’hôtel de ville…). Marty laisse alors le champ libre de l’action à son ami Doc, désormais au centre d’enjeux sentimentaux avec une institutrice. On apprend alors que les origines du génie du scientifique prennent source dans les romans de Jules Verne,  dont il est féru depuis sa plus tendre enfance. Vingt milles lieux sous les mers ou De la Terre à la Lune sont d’ailleurs explicitement cités par le personnage à la démente chevelure.

Dit comme ça, on pourrait certainement plus parler d’hommage que d’influence. Il n’en demeure pas moins que la confidence sus-citée confère à la personnalité déjà appréciable de Doc un supplément de sympathie. Jules Verne étant un artiste extrêmement visionnaire, les scénaristes insufflent à Doc (plus qu’à Marty même) la même attitude, jouant moins sur les anachronismes que sur les avancées technologiques; les fans se souviendront de cette scène totalement absurde où, dans son atelier de 1885, Doc demande à Marty de l’assister au pied d’un gigantesque armada de rouages et de mécanique qui s’avère être… un réfrigérateur. A la fin du film, ce n’est même plus la DeLorean qui sert de moyen de transport temporel mais un splendide train du XIXème siècle, rafistolé aux bons soins du scientifique en une variation ferroviaire et spatiale du Nautilus.

Lorsque Marty, désormais de retour en 1985, demande à Doc s’il a l’intention de retourner vers le futur, ce dernier lui répond en souriant qu’il y est déjà allé. De là à conclure que Doc, et sa nouvelle petite famille, s’en vont convoler vers la Lune ou à travers l’espace, il n’y a qu’un pas que l’imaginaire peut aisément franchir. La saga de Robert Zemeckis peut enfin s’affranchir du divertissement hollywoodien -tel que Steven Spielberg s’amusait à en produire dans les années 80- pour s’inscrire dans la grande tradition du cinéma d’aventures.

Retour vers le futur (USA, 1985/1989/1990).
Trilogie de films réalisée par Robert Zemeckis, scénarisée par Robert Zemeckis et Bob Gale. 

Avec Michael J.Fox, Christopher Lloyd, Lea Thompson, Thomas F.Wilson & (entre autres vedettes) Crispin Glover. Le tout est distribué par Universal Pictures et produit par l'éminent Steven Spielberg.

Tout ce beau monde peut être vu en DVD, Bluray, Bluray 4K ou en streaming. Ou à l'emprunt dans votre médiathèque préférée.


Placide Boucan

Par Jeoffroy Vincent

Calembouriste ostentatoire, hobbit culturel arborant désormais des cheveux gris (plus sels que poivre d’ailleurs), j’ai fait des études de lettre dans le seul but de devenir skateur professionnel après avoir dévoré la trilogie Retour vers le futur. On a pu me lire dans FrancofansLe Monde des sériesDes séries et des hommes ainsi que sur les innombrables blogs que j’ai ouvert selon mes humeurs. Je mange six fois par jours, j’aime le sucre en dehors de mon café et le mot “clafoutis”.

Autrement, et vous l’aurez compris, j’écris, dans mon coin et surtout pour les autres, depuis que je peux épeler orthographe sans me tromper.

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