Où l'on revient sur un chanteur irlandais ayant vendu plus de 7 millions d'exemplaires à l'international mais dont la France ignore toujours, et encore, le nom...
Voilà ce que l’on appelle se frayer un chemin à l’endurance. Avant de devenir une star irlandaise multi-diffusée quasiment de toutes parts le temps d’un disque (disque intitulé White Ladder, on en reparle tout de suite et en dessous), David Gray aura transpiré. À imposer son nom – et non un style, somme toute classique mais authentique, sincère, à la hauteur d’un genre qui peut facilement tomber dans des travers oh combien caricaturaux – sous les feux de la rampe. Nous sommes en 1996, et David Gray vient de signer deux albums indie folk à la menuiserie superbe, sans clinquants, avec ce qu’il faut de savoir-faire mélodique pour être salué par la critique. Mais si être salué par la critique, c’est bien, remplir son frigo et ses objectifs de vente c’est mieux. On ne sera donc guère surpris lorsque Gray revient avec un troisième disque au titre (et à la pochette) plus qu’évocateur(s) sur ses intentions premières.
Avant la percée triomphale qui surviendra enfin avec White Ladder le disait-on plus haut 1, Sell, sell, sell se paye le doublé d’être un clin d’œil ironique envers l’industrie du disque et un recueil de tubes en puissance. Qui, évidemment pour la plupart d’entre eux, seront plus ou moins écrasés à l’aune de Late night radio, titre aux contours parfaitement calibrés pour être diffusé par n’importe qui ayant de l’oreille. Évidemment (bis), ce ne sera pas suffisant pour jouer des coudes dans une cour de plus en plus prisée et, de fait, bondée par de nouveaux talents. Qu’importe donc les raisons du pourquoi ou du comment d’un tel retard à l’allumage puisque, pris de toutes façons dans la tourmente de la britpop où éclosent Oasis, blur, The Verve, Suede ou encore Pulp, David Gray a simplement le défaut d’arriver prématurément à un moment plutôt décisif dans l’histoire de la musique. Pas assez de frasques pour se faire une réputation de mauvais garçon, trop sentimental pour être totalement digne de profondeur (?) ni réellement porté sur le rock pour électriser son répertoire. David Gray a beau être adoubé par de grands noms2, son heure n’est simplement pas encore la sienne. Le sera-t-elle vraiment ? À l’inverse de l’intéressé du jour, qui finira par grimper aux sommets de charts et acquérir une audience plus importante susceptible de remonter ensuite à la source de ses premières armes, combien sont-ils ces artistes au talent évident qui passeront sous le radar pour le restant de leurs carrières, condamnés à être cultes au milieu de cercles plus ou moins restreints ? Combien sont-ils, ailleurs ou ici, à être encensés démesurément avant d’être destitués de leur célébrité du jour au lendemain? Quasiment inconnu à l’Hexagonal, reconnu donc comme l’un des meilleurs de sa génération sur son propre territoire, il sera difficile de qualifier David Gray de réel artiste culte. Le type est diffusé par une major, passe en radio3, à la télé, remplit les salles et sa musique, capable d’amadouer le plus exigeant des mélomanes comme celui de passage, coche tous de nombreux canons de la chanson populaire.
Mais revenons à Sell, sell, sell.
En continuant à revendiquer son talent au fil de chansons cassées par ce tranchant de guitare dont il a le secret tout en magnifiant des ballades au songwriting plus que touchant, Gray fait quasiment un florilège de ses compétences. Si l’on omet Lost songs 95/98, superbe bouquet composé de faces B renversantes de simplicité, Sell, sell, sell est le dernier chapitre d’un début de carrière littéralement intimiste, visant le grand public mais vénéré d’une poignée. On peut regretter cette époque, se réjouir que David Gray ait fini enfin par rencontrer cette reconnaissance que tous les artistes, même les plus fiers, cherchent tous. Car s’il est indéniablement réussi (This years love, Sail away ou encore la reprise de Soft cell Say hello, wave goodbye demeurent des morceaux de choix du répertoire du chanteur), White Ladder est définitivement le disque d’après, celui où tout (re)commence; y compris en ce qui concerne la britpop. Il n’aura pas, ou du moins autrement, cette couleur propre à la mélancolie acoustique des débuts, dissimulée derrière un rideau d’ironie, de poésie et d’ego qui ne demande qu’à être reconnu pour ses qualités. Sans se sacrifier totalement. Sans devenir un vendu donc.
Sell, sell, sell (EMI, 1996). 12 chansons, 53 minutes et quelques bananes.
Disponible en streaming sur toutes les plateformes possibles et en disque pour les collectionneurs.
D’autres albums pour découvrir David Gray :
Shine
Lost songs 95/98
White Ladder
A new day at midnight
Le live au Point de Dublin mérite aussi largement le détour : il est disponible en DVD et donne un très bel aperçu de comment l’artiste se débrouille (bien ^^) sur scène.
Le site officiel de David Gray
1: Sur les sept millions de copies vendues à l’international, trois d’entre elle le seront sur le seul sol britannique. White ladder occupera pendant presque trois ans le top 100 britannique, devenant l’album le plus vendu en Irlande (mes sources s’arrêtent en 2015), ouvrant à Gray la possibilité de tourner en dehors de son pays.
2: Joan Baez notamment, trop empressée de l’introniser comme le nouveau Dylan, ce que Gray, en dépit de toute l’affection qu’on lui porte, n’est pas. Ne serait-ce parce qu’il n’a, contrairement à Bob, aucune chanson contestatrice à son tour de chant.
3: Il y a de fortes chances pour que vous ayez au moins entendu parler de David Gray au moins via le titre Babylon.