Dune – Sables émouvants

Où l'on parle du film où jouer au bac à sable coûte la bagatelle de 400 millions de dollars...

Placide Boucan
3 min ⋅ 13/03/2024

On ne parlera pas de suite mais de poursuite. De fait, les remarques lues au sujet du manque de lisibilité de ce deuxième segment portent à sourire : peu importe les reproches que l’on pourra(it) lui adresser, Dune, doté d’un budget colossal et d’un parterre de stars grand luxe pour servir ce cérémonial en deux temps, existe. Et en deux films résolument complémentaires. C’est, en soi, un miracle tant Denis Villeneuve aura réussi le prodige de rendre, justement, lisible, compréhensible et concret un roman complexe, plutôt austère et froid de prime abord reconnaissons-le, qui récompense tout lecteur ayant l’endurance et la volonté de s’y perdre.

Après une saison hollywoodienne qui aura vu deux hits tonitruants et complètement contrastés rebattre les cartes au sujet des éventuelles attentes du public (suivez mon regard vers Barbie et Oppenheimer, totalement antinomiques à tellement de niveaux), Dune ouvre donc le bal cinématographique d’une année aux incertitudes globales ; incertitudes qui dépassent le simple cadre de l’écran, aussi gigantesque soit ce dernier. La réussite des deux opus est sûrement là, au-delà des prouesses techniques et grandioses orchestrées par le canadien, dans cette capacité à remettre le propos visionnaire amorcé par Frank Herbert il y a presque soixante ans à la table d’une géopolitique internationale au bord du chaos. De l’appréhender comme le grand spectacle qu’il demeure et de le voir, le lire comme la fable qui donne à réfléchir sur les enjeux et les angoisses de notre monde fait de Dune non seulement un monument de cinéma mais une expérience troublante de spectateur. Terrassé, troublé, voire les deux en même temps, le spectateur, donc, songera pêle-mêle aux récentes projections en provenance de l’Ukraine, de Gaza ou, allez, de l’effarante et effrayante sécheresse qui s’étend ci et là en raison du changement climatique.


Davantage que dans le premier segment, Villeneuve raccorde la thématique écologique avec celle de notre temps, pour aller planter ensuite dans le désert toute la symbolique du pouvoir autour de la Nature dont l’Epice demeure l’allégorie fondatrice. À cette thématique du pouvoir gravite la question forcément clivante de la religion, ou plutôt de la foi et de ses dérives, et confère au récit une dimension tout à fait particulière en ces jours obscurs…

Effrayant, isn't it ?Effrayant, isn't it ?

C’est riche de ces images que l’ampleur quasi carnassière de la mise en scène de Denis Villeneuve déploie une narration qui, délayée de sa densité tout en gardant sa forme fleuve (le film avoisine tout de même les trois heures), ne dévoile jamais ses ressorts dramatiques. Des ressorts cohérents davantage qu’évidents, et passionnants qui plus est, surtout lorsqu’on replace le roman dans le contexte de son époque et que l’on sait qu’il sera la source de futurs chef-d’oeuvres pop à venir (Star Wars, Game of Thrones, j’en passe et des meilleures). Il est certain que le lecteur aguerri de la saga aura toujours de quoi redire mais l’essentiel du propos est là. S’il n’oublie pas qu’il est attendu au tournant, Villeneuve légitime non seulement l’expérience en salles mais, à l’instar, peut-être, d’un Christopher Nolan, parvient également à concilier une forme de cinéma d’auteur avec l’artillerie lourde d’un blockbuster d’envergure.

En résulte un spectacle authentique (peu de fonds verts, énormément de décors naturels comme si la caméra avait été directement posée sur Arrakis) et hypnotique, ne serait-ce que parce qu’il possède la qualité de vous hanter émotionnellement longtemps après que vous ayez quitté la salle. Bref, alors que le streaming continue de faire sa mue vers des territoires inconnus, forcément mouvants et périlleux, que, de fait, Hollywood ne sait plus guère où placer ses millions, et pendant que le monde est toujours à deux doigts d’une implosion quelconque, Dune cristallise tout sur son passage quant à ce qui meut notre époque. En laissant in fine au spectateur un sacré goût de cendre dans la bouche. Sans s’enliser. C’est tout de même une sacrée prouesse.

QUELQUES TRUCS EN VRAC ET EN PLUS

  • Je n’ai pas parlé du casting mais il est (sans jeux de mots) impérial. Mention spéciale toutefois à Javier Bardem, Austin Butler et Rebecca Ferguson, trois acteurs loin de démériter face aux stars que sont devenues Timothée Chalamet & Zendaya. Et Stellan Skarsgard fout vraiment les jetons.
  • Je n’ai pas parlé de la musique de Hans Zimmer qui, pour une fois, est moins grandiloquente qu’à l’ordinaire. Toutefois ce brave Hanz commence sérieusement à s’autoplagier.
  • Autrement, le film regorge de moments épatants (la scène d’ouverture, la chevauchée du Ver, la confirmation de Paul en Muad’Dib, le climax final) et, de fait, on saluera le travail formidable de Greig Fraser, déjà à pied d’oeuvre sur Bright Star (Jane Campion) ou The Batman (Matt Reeves).

Dune (USA/Canada,2021/2023). Films respectivement réalisés par Denis Villeneuve et distribué par Warner Bros. 

Je ne vous ferais pas l’affront de mettre l’entièreté du cast (car il est connu en plus d’être long) et de vous dire que, évidemment, si la première partie du film est déjà disponible en physique, n’hésitez pas à vous rendre au cinéma pour la deuxième.

Le site officiel du film

Autrement Le cycle de Dune est toujours disponible chez Robert Laffont (dans de belles éditions reliées) ainsi que chez Pocket dans votre librairie préférée.

Placide Boucan

Par Jeoffroy Vincent

Calembouriste ostentatoire, hobbit culturel arborant désormais des cheveux gris (plus sels que poivre d’ailleurs), j’ai fait des études de lettre dans le seul but de devenir skateur professionnel après avoir dévoré la trilogie Retour vers le futur. On a pu me lire dans FrancofansLe Monde des sériesDes séries et des hommes ainsi que sur les innombrables blogs que j’ai ouvert selon mes humeurs. Je mange six fois par jours, j’aime le sucre en dehors de mon café et le mot “clafoutis”.

Autrement, et vous l’aurez compris, j’écris, dans mon coin et surtout pour les autres, depuis que je peux épeler orthographe sans me tromper.

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